Par Sylvain Pacaud, Directeur des formations d’ISFI.
Un courtier en assurance ; de la vente à distance ; l’enfreinte de l’obligation d’information préalable. Le triptyque usuel : obligation / enfreinte / sanction.
Cette décision (audience du 24 avril 2019, sanction
rendue le 15 mai 2019) de la Commission des sanctions de l’Autorité de Contrôle
Prudentiel et de Résolution (ACPR) n’a rien de surprenant. Elle ne fait que confirmer le riche corpus jurisprudentiel et
réglementaire consacré au « devoir d’information » en matière de
contrat d’assurances.- Décision de la Commission des sanctions du 15 mai
2019 – procédure no 2018-02. Cette obligation en apparence simple
(« informer ») recouvre cependant des nuances subtiles, en fonction
des objectifs assignés cette information ainsi que des conditions factuelles
qui déclenchent sa délivrance ; elle s’étend, au-delà de l’assurance, aux
Intermédiaires en général et à la vente à distance, un mode de commercialisation
de plus en plus dominant.
L’obligation d’information préalable
comprend un volet spécifique visant les caractéristiques essentielles du
contrat.
L’Intermédiaire, le distributeur, ici un courtier d’assurance
commercialise des contrats d’assurance de prévoyance et de complémentaire
santé. Il opère au moyen d’une plateforme téléphonique basée en Tunisie. La mission
de contrôle de l’ACPR, puis la Commission des sanctions constatent qu’au moment
du contrôle, la société ne satisfaisait pas à l’obligation « d’information
précontractuelle » due aux souscripteurs. Il s’agit ici du volet de
l’information précontractuelle consacré à la description des caractéristiques
essentielles du produit proposé. La délivrance de cette information de nature
spécifique découle des dispositions de l’article L. 112-2-1, III du Code des assurances. Celles-ci
posent l’obligation, pour le distributeur, de communiquer au souscripteur, à
l’assuré, les informations portant sur les caractéristiques essentielles du
produit. Surtout, le Professionnel doit s’acquitter de cette obligation « en
temps utile » autrement dit
avant la conclusion à distance du contrat d’assurance. À défaut, la connaissance des caractéristiques essentielles du contrat
proposé n’aurait guère de sens, puisqu’elle vient essentiellement soutenir le
consentement de l’assuré à ce contrat. Comment consentir sans l’éclairage, en temps utile, de ces indispensables
données ?
La
Commission des sanctions de l’ACPR développe ici une veine jurisprudentielle
déjà bien étoffée (Commission des sanctions n°2017-09 du 26 février 2018, ou
encore, n°2015-09 du 22 décembre 2016).
La sollicitation d’un
Intermédiaire d’assurance par des prospects ne constitue pas un acte de
démarchage.
De son côté l’Intermédiaire soutient que ses
salariés n’étaient pas dans une situation de démarchage téléphonique au moment
des faits. Ceux-ci ne faisaient que répondre à des sollicitations de prospects.
Elle entend ainsi bénéficier du dispositif dérogatoire repris aux articles L.
222-6 alinéa 2 du Code de la consommation et R. 520-2 du Code des assurances,
en vertu desquels « Le fournisseur exécute ses obligations de communication
immédiatement après la conclusion du contrat, lorsque celui-ci a été conclu à
la demande du consommateur en utilisant une technique de communication à
distance ne permettant pas la transmission des informations précontractuelles
et contractuelles sur un support papier ou sur un autre support durable […] ».
Dans ce cas de figure, l’obligation de description des
caractéristiques essentielles n’est pas effacée, mais simplement différée,
étant reportée « immédiatement »
après la conclusion du contrat, lequel bénéficie d’un droit de rétractation.
L’importance de la
formation et de la bonne connaissance des obligations d’information, dans tous
leurs aspects.
Au cas d’espèce, la Commission des sanctions balaie
cette argumentation. Après s’être livrée à un examen « in concreto » de la situation,
cette Juridiction spécialisée constate que la vente à distance est caractérisée
et que l’obligation à délivrer incombe sans nul doute à l’Intermédiaire. Elle
note l’inexactitude et l’insuffisance des données recueillies par le
Professionnel sur les candidats à l’assurance au moment de la commercialisation
à distance des contrats d’assurances. Elle s’appuie à cette occasion, sur
l’analyse du script de qualification utilisé par les préposés du Courtier,
lequel permet de déduire que le prospect ne sollicitait pas spontanément la conclusion
d’un contrat d’assurance, mais qu’au contraire, la vente était bien proposée
par le Courtier. Le matériel commercial, souvent abondant, vient souvent
illustrer très précisément les faits et les pratiques.
Cette décision souligne deux aspects essentiels du
Droit de la distribution, ici en assurance, valables pour tous les
Distributeurs et pour tous les Intermédiaires :
- la nécessité de
bien identifier et de bien décrire les obligations juridiques effectivement
applicables aux activités pratiquées ;
- l’importance de
la formation professionnelle des conseillers et des commerciaux, via les
obligations de capacité professionnelle et, notamment en assurance, de la toute
nouvelle obligation de formation continue de quinze (15) heures des
distributeurs d’assurance (dite souvent « formation DDA »).
Une
sanction somme toute mesurée, susceptible de recours.
La Commission des sanctions peut prononcer des
sanctions particulièrement étoffées. En matière de sanction financière (ou
pécuniaire), le montant infligé peut atteindre cent (100) millions d’euros. Le
montant de sanction record de 50 millions d’euros a été prononcé, en 2014,
contre une Compagnie d’assurance.
Les sanctions sont cependant proportionnées.
Le projet « d’autorégulation » ou de
« co-régulation » de la distribution, en assurance comme en banque,
prévoit la création de Commissions disciplinaires au sein des Associations
professionnelles. L’adhésion à ces Associations professionnelles sera
obligatoire, conduisant directement à l’assujettissement des Intermédiaires à
ces nouvelles « Commissions des sanctions » professionnelles.
L’examen des décisions de la Commission des sanctions, comme celle du 15 mai
2019, montre à quel point la création de Commissions disciplinaires
professionnelles soulève d’immenses défis, notamment en matière de procédure et
de droit au procès équitable. Cette réforme, fixée au 1er janvier
2020, est actuellement enlisée par la censure partielle de la Loi « PACTE »
par le Conseil constitutionnel, mais rien n’indique que sa date d’application
sera reportée.
La Commission des sanctions de l’ACPR a donc prononcé le 15 mai 2019 à l’encontre de l’Intermédiaire concerné une sanction disciplinaire (un blâme), assortie d’une sanction pécuniaire de 20.000 euros (50.000 euros requis), ainsi que d’une « publicité » bien malvenue.
L’Intermédiaire dispose de la possibilité de former
un appel contre cette décision, dit de plein contentieux, devant le Conseil d’État.
Lien : https://acpr.banque-france.fr/sites/default/files/media/2019/05/20/190517_decision_provitalia.pdf